L’affaire Tuskgee en Alabama, une expérience médicale raciste de haute intensité

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Beaucoup s’étonnent de la prégnance des théories du complot dans l’opinion publique mondiale aujourd’hui. Mais comme le dit l’adage, il n’y a pas de fumée sans feu, certaines pratiques du passé ayant certainement fait le lit de la méfiance et des suspicions actuelles. Récemment encore pendant la crise du Covid 19 en 2020, nous avons pu assister en direct sur une chaîne de télévision française, un intervenant, affirmé à la grande stupéfaction des autres que l’expérimentation d’un nouveau vaccin contre le virus devrait se faire en Afrique. Des Africains comme cobayes, une affirmation raciste sans gêne et assumée. S’indigner après de telles affirmations de la propagation des théories du complot concernant les vaccins Bill Gates en Afrique est tout simplement étonnant, surtout quand des choses similaires ont déjà eu cours par le passé. On peut parler entre autre de l’Eugénisme, cette démarche scientifique consistant à créer un être parfait comme si l’Humain se prenait pour Dieu.

L’histoire que nous allons vous raconter ne se déroule pas aujourd’hui mais au début du 20è siècle et sa révélation va durablement altérer le rapport des Noirs américains à la médecine.Il s’agit de « l’affaire Tuskgee” en Alabama,une expérience médicale raciste dans un Etat déja réputé pour son ségrégationnisme viscéral au-délà des frontières de l’Amérique. L’enquête montre comment pendant 40 ans, de 1932 jusqu’à sa révélation en 1972 par la presse, une expérimentation cynique et effroyable menée sur des Noirs pauvres et peu éduqués dans ce Sud des Etats-Unis.

Le déroulé de l’histoire

Bien avant la découverte de la péniciline par le biologiste anglais Alexander Fleming à partir d’une expérience de sérendipité, la syphilis apparue au XV siècle est une maladie très grave, mortelle qui terrifie tout le monde comme le VIH aujourd’hui. Soupçonnée d’avoir été contractée ou d’être la cause de la mort de célébrités, comme François Ier (roi de France 1515-1547), du poète et dramaturge anglais William Shakespeare, Guy de Maupassant (écrivain français du 19 è siècle) et j’en passe, elle a fait toujours l’objet de recherches pour trouver des remèdes. Depuis des siècles, et de par le monde, médecins et scientifiques courent après des solutions pour mettre fin à ce qui fût pendant longtemps, un problème sanitaire.

Nous sommes au début des années 1930 à Tuskgee, petite ville de 10.000 habitants dans l’Alabama. La particularité de cette ville est qu’elle concentre une population noire touchée fortement par la syphilis.

Pour lancer des recherches épidémiologiques et déterminer les effets de la maladie sur le corps humain, « l’USPHS », l’autorité fédérale de santé publique américaine va lancer une étude en 1932. Elle fait recruter pour cela, dans la population noire, pauvre et peu éduquée, donc fragile un échantillon de 600 hommes âgés de 25 à 60 ans. Un choix qui répose certes sur un fort taux de prévalence de la maladie au sein de cette société mais quand même avec une arrière pensée à relent raciste face à un public aussi défavorisé. Pour une étude qui devait durer 6 mois, sa longévité sera de 40 ans.

Pour appâter les prochaines recrues , il leur est promis des repas chauds et transport gratuits en aller- retour vers les hôpitaux, des médicaments pour des maladies autres que la syphilis et surtout un enterrement gratuit à la mort à condition d’accepter l’autopsie de leur cadavre.

Sur un échantillon total des 600 personnes examinées, il s’est avéré que 200 n’étaient pas porteurs de la maladie au contraire des 400 autres. Sur les personnes atteintes, l’USPHS » choisit délibérément de donner le meilleur traitement possible à 200 cobayes et d’en priver les 200 autres, sans même les informer. Il est clair que l’intention non avouée ici est de laisser mourir les non-bénéficiaires des rémèdes afin que ceux-ci décèdent le plus tôt possible, pratiquer par la suite l’autopsie et récueillir des informations. On peut aussi se poser la question pourquoi le choix des hommes alors qu’existe déjà des méthodes sur les animaux.

Rien ne peut être caché indéfiniment et la presse va le prouver

Le 26 juillet 1972, la presse américaine révèle une étude qui comme une bombe, fait des déflagrations dans tout le pays.

C’est qu’en 1966, Peter Buxton (qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de lanceur d’alertes), un ancien agent de « l’USPHS » qui avait déjà émis à l’époque des réticences quant à la valeur morale de l’étude va informer le journaliste Jean Heller de l’Associated Press qui a à son tour, révèlera l’information à toute la profession et aux grands journaux au Etats-Unis. Le public découvre avec horreur que depuis 40 ans, l’USPHS a sacrfié 200 cobayes humains Noirs pour une étude sur la syphilis en ne prodiguant aucun traitement alors qu’une thérapie efficace existait. Le public indigné ne comprenait pas qu’on envoie de cette façon volontairement à la mort un quelconque humain et par dessus tout, en aussi grand nombre . L’enquête revèlera par la suite 28 cobayes directement décédés de la maladie,100 autres morts à la suite de complications liées à la syphilis, 40 femmes et 19 enfants infectés.

Les révélations ont évidemment mis fin à l’étude mais le cynisme qui l’a accompagné a suscité bien d’interrogations. En effet, des rapports publiés ont montré les conséquences et les désastres de cette maladie alors que la grande découverte de la péniciline permettait de la soigner efficacement. Le traitement était disponible mais l’agence sanitaire avait choisi expressément de refuser son accès aux cobayes de l’expérience.

L’enquête du Sénat et les compensations financières demandées par les familles

A la suite de cette affaire, le Sénat américian a lancé une enquête pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce qui s’était passé et se lancer à la recherche des survivants de l’expérience afin de leurs donner un traitement. En juillet 1973, les anciens patients et leurs familles ont lancé des poursuites judiciaires contre le gouvernement américain pour un dédommagement de 1,8 milliards de dollars. Ils ne recevront que 10 millions en 1974.

Pour les excuses, Bill Clinton dira sa désolation au cours d’une cérémonie officielle en mai 1997 pour ces actes commis. Le président Bill Clinton déclarera éprouver une honte pour ce qui avait été fait à l »époque à une partie de la population. En réponse, le représentant des ex-patients dira accepter certes des excuses mais ne comprenait toujours pas l’opportunité d’organiser cette étude raciste et surtout que la désolation de la part du gouvernement américain avait mis tant de temps à venir.

Cette expérience a engendré un véritable traumatisme au sein de la population afro-américaine à l’égard de l’autorité de santé américaine au point d’éprouver une grande suspicion vis-vis de tout ce qui est lié aux consultations médicales.Une méfiance qui conduit beaucoup de Noirs à éviter des essais cliniques, de donner leur sang ou de s’inscrire comme donneurs potentiels, de rejeter des soins médicaux de routine y compris le traitement du VIH.

Une autre pratique, « l’Eugénisme » aura cours aussi dans ces années là. Un autre article y sera consacré.

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